10 - Dolce Vita à Addis Abéba



Addis Abéba (Ethiopie), le 3 avril

Changement d’ambiance
Quel pied l’Afrique ! Je sens le changement d’ambiance dès l’arrivée dans l’avion, où une Yéménite pourtant convenablement voilée croise mon regard deux fois d’affilée sans baisser les yeux. Bouleversé par tant de familiarité, je lui adresse la parole. Et là, carrément, elle me répond ! Elle vient rendre visite à la famille éthiopienne de sa mère, mais avant de se retrouver enfermée à la maison avec ses tantes et ses cousines elle veut passer quelques jours tranquilles à Addis Abeba. Nous nous mettons d’accord pour partager un taxi et chercher ensemble un hôtel, avant d’enchaîner par un tour dans Addis by night. A peine arrivée, elle file prendre sa douche et revient en ayant échangé sa sinistre capeline noire contre une jupe, un décolleté pailleté et des talons hauts ! Maintenant je suis Ethiopienne, me dit-elle en souriant, avant de me raconter avec colère la façon dont les jeunes filles yéménites sont constamment menacées d’opprobre pour les obliger à rester convenables. Puis elle m’emmène dans un restaurant libanais où officie une danseuse du ventre, c’est presque trop. En sortant de table, elle me demande de l’accompagner au nightclub du Hilton, ce qui casse un peu l’ambiance, mais bon. Je suis de si bonne humeur que je tiens une heure à regarder les expats en costard cravate gigoter sur les Bee Gees devant la fontaine artificielle.

Surf sur canapé
Le lendemain, je m’installe chez des gens rencontrés sur Couchsurfing : un jeune Ethiopien avide de rencontres et une vieille baba allemande gentille aussi quoiqu’un peu chafouine.



Ils habitent une maison sobrement décorée avec de jolis meubles en rotin très simples et des tentures locales splendides. La cuisine est tout ce qu’il y a de spartiate avec juste quelques assiettes en terre cuite noire, des couverts en corne de vache, une casserole, une poêle et quelques légumes. Pas de frigo car c’est mauvais pour les aliments, nous sommes bien chez une baba allemande. Dans la cour, qu’ils partagent avec leur propriétaire, on trouve un briard qui étouffe sous ses poils, deux chattes, une chèvre et quelques poules ayant saccagé le plant de beu de Madame, qui leur voue en conséquence une haine tenace. Heureusement elle est végétarienne, les bestioles ne risquent rien. De la musique arrive en permanence de l’autre bout de la rue : un disquaire qui met tous les matins son enceinte dehors avec le volume à bloc.

Les Ethiopiens sont beaux
Les jours suivants sont consacrés à la visite d’Addis Abéba. Je trouve les Ethiopiens très beaux. Ils ont généralement la peau claire, le visage fin et allongé avec un grand front dégagé, et ils ne sont pas très épais. Beaucoup portent la tenue traditionnelle, le gabi, une sorte de toge ou de châle blanc qu’ils drapent autour des épaules en l’accompagnant parfois d’un turban, la grande classe. En dessous, les femmes sont en jupe ou en pantalon à la mode occidentale. Elles se tiennent bien droites et fières, soutiennent tranquillement le regard des hommes, cela fait plaisir à voir. En plus, elles sont souvent très, mais alors très jolies. Voici d'ailleurs leur grand-mère à toutes, que je remercie tous les jours de nous avoir laissé un tel héritage : Dinkinesh alias Lucy...



Les gens sont éduqués, même les chauffeurs de taxi parlent un peu anglais. Quelques uns me citent carrément des livres de géopolitique. J'en rencontre aussi un rasta, qui a joliment aménagé sa voiture.



La langue locale, l’amharique, a sa propre écriture, ça aussi c’est grave la classe. « Merci » se dit « amessegenalou », pour l’ « addition » c’est « issap » et, très vite, je comprends que le « farenje », c’est moi, l’« étranger ». En plus d’être exotique, ça sonne bien. Par contre, le pays est très pauvre. Lorsque le taxi s’arrête devant les églises, on est assailli par des mères de famille au bébé accroché dans le dos, des enfants qui chantent derrière la fenêtre de la voiture, des unijambistes qui exposent leur moignon et des malheureux frappés par la polio qui implorent du regard en rampant sur les mains et un bout de jambe valide.

Dolce Vita
Quant à la ville en elle-même, elle est agréable mais sans véritable charme, avec de grandes avenues bien dégagées longées par de petites maisons et quelques immeubles (d'où le faible nombre de photos dans ce chapitre). Le soir, les gens traînent aux terrasses des cafés, boivent des bières dans les bars, écoutent du reggae, du hip hop, du jazz et aussi pas mal de daube locale. On sent l’envie de s’amuser malgré les difficultés, il y a dans l’air quelque chose d’une Dolce Vita à l’éthiopienne, avec de lointaines réminiscences de la présence italienne de la fin des années 30, qui a laissé dans son sillage pas mal de mauvais souvenirs, mais aussi les pâtes, le cappuccino et quelques jolies maisons pastels. Il y a même un café qui s’appelle le Dolce. Mais la nuit, certains préfèrent courir ! Si l’on fait un peu attention, on découvre un paquet de gens en survêtement qui grimpent au galop les côtes de cette ville perchée à plus de 2000 mètres d’altitude…

Je me sens à l’aise
La grande majorité des Ethiopiens du centre et du nord du pays sont chrétiens. Comme cela fait bien longtemps que je vois dans la Bible un manuel de savoir-vivre enrobé dans un récit à forte tendance mythologique, je ne me sens pas très concerné. Mais il est certain que cela crée des points de repère, que leur vision de la vie et leur sens de la morale me sont plus compréhensibles que ceux des hindous ou des musulmans. Et puis les gens sont décontractés et souriants, tiennent leurs amis par l’épaule ou par la main, se parlent volontiers dans le bus, aident gentiment les étrangers. C’est peut-être parce qu’ils se sont débarrassés des Italiens avant d’être réellement colonisés, mais il me semble qu’ils n’ont pas de ressentiment vis-à-vis des Occidentaux, ce qui simplifie le rapport. Tout cela fait que je me sens vite à l’aise.

Quartier rouge
J’habite dans un quartier surnommé Tchétchénia car, m’explique-t-on, c’est le « bordel ». Effectivement, la grande avenue centrale grouille de petits bars à putes colorés dont les guirlandes clignotent jusqu’au petit matin, illuminant faiblement le trottoir jonché de gravats sur lesquels les clients pissent leur bière. Lorsque je rentre à la maison, les filles me hèlent les unes après les autres, mais elles me font un peu peur avec leur sourire trop engageant et leurs cuissardes sur mini jupe de vinyle blanc. Un soir, j’y bois un verre avec mon hôte éthiopien et, franchement, l’ambiance n’est pas terrible. Les hommes boivent, dansent et rigolent au milieu des filles qui se dandinent mécaniquement en essayant d’avoir l’air sexy et d’accrocher les regards, c’est pathétique. Je m’amuse plus au Bateau ivre, un bar fréquenté par un mélange de Français, d’Africains francophones et d’Ethiopiens qui accueille des concerts de jazz le lundi, et dans les bars traditionnels, où des chanteuses en robe blanche brodées improvisent en se moquant des convives, accompagnées d’un joueur de macincot, un instrument à une corde, pendant que les gens dansent l’ « eskita », qui consiste en un curieux balancement des épaules.

Heure locale
Il me faut aussi me familiariser à la mesure du temps, ce qui n’est pas évident. En Ethiopie, on n’est encore qu’en l’an 2000 et il faut retirer une semaine, l’Eglise orthodoxe locale n’ayant pas suivi les ajustements successifs des papes romains. Le calendrier compte treize mois, dont douze de trente jours et un treizième de cinq ou six jours suivant l’année. Surtout, l’Ethiopie est le seul pays du monde à faire partir son horloge à six heures du matin. Quant ma montre marque dix heures, il s’agit de la quatrième heure du jour et il est donc ici quatre heures. Je trouve le système très pratique, mais il est difficile de s’acclimater car les Ethiopiens passent continuellement d’une horloge à l’autre quand ils parlent avec des étrangers.

Liberté d’expression
Je profite de mes moments de calme pour terminer la mise à jour de mon récit du Yémen, mais ne parviens pas à me connecter à mon blog. Selon les patrons du cybercafé, c’est dû au gouvernement qui limite la liberté d’expression. Il faut dire que le pays n’est pas très au point niveau démocratie. Meles Zenawi, le premier ministre, a annulé les résultats des élections législatives de 2005 qui lui étaient défavorables, réprimé dans le sang plusieurs manifestations et mis en prison les leaders de l’opposition et les journalistes récalcitrants. Les gens grincent des dents, mais sont bien forcés de la jouer profil bas.

2 commentaires:

Zurma a dit…

Bah alors ???? On est le 11 et toujours rien ???

Myriam&Vilius a dit…

Coucou petit frère

Bon bah voilà on prenait un pot et on en est venu à parler de toi et en plus tu es super bien référencé, so :
Moi ça va, lui aussi. C'est très banal mais on est super content pour toi Ce voyage c'est génial et ça donne vraiment envie Le passage sur l'inde invite à y retourner
Vilius cite : " Fais ton chemin du coeur et si tu t'arrètes dis adieu au bonheur " il a raison et faut l'appliquer
On te fait de grosses bises et peut etre qu'on pourrait se rejoindre un jour
Vilus & Myriam