14 - Pâques à Lalibela

Axoum, le 23 avril

Axoum revisité
C’est maintenant le moment de partir pour Axoum, la capitale antique du pays située tout au nord, près de l’Erythrée. J’y parviens après treize heures de route dans une série de camions qui cahotent au ralenti sur une piste zigzaguant au milieu d’un panorama spectaculaire, en doublant des femmes qui portent des fardeaux de bois aussi gros qu’elles. Après une nuit de repos, j’attaque la visite du site avec un guide un peu exalté qui interprète joyeusement les vestiges à sa façon. Nous commençons par l’extraordinaire champ des obélisques, dont certains auraient 5000 ans. Le plus gros, qui fait 33 mètres, gît sur le sol depuis toujours. Mais au contraire des différentes sources qui affirment qu’il se serait effondré peu après son érection, probablement à cause d’une erreur des bâtisseurs, mon guide prétend que ce sont les Egyptiens qui ont ourdi l’affaire.



Nous explorons ensuite un passage sous-terrain généralement présenté comme la tombe d’un roi du VI° siècle avant JC, mais qui s’avérerait selon mon informateur être les fondations de la fameuse tour de Babel !



Car pour lui, aucun doute, Axoum est la fameuse Babel de l’Antiquité... Profitant de l’effet de surprise, il enfonce le clou, assurant qu’à son apogée le royaume axoumite dominait l’Ethiopie, mais aussi l’Egypte (qui ne serait en fait que le prolongement de l’Ethiopie), la péninsule arabique, Israël, l’Inde et jusqu’au Sri Lanka... La journée se passe, les scoops continuent de s’enchaîner. Mon guide, expert en datation au carbone 14, est formel. La tombe du roi Isana, déjà impressionnante lorsque l’on sait qu’elle est contemporaine du Christ, passe à la catégorie supérieure en devenant la dernière demeure de Noé.





Enfin, de belles ruines que la légende locale identifiait déjà généreusement au palais de la reine de Sabah, recèle un autel dédié aux sacrifices qui le désignerait en fait comme le palais d’Abraham.



On a retrouvé l’Arche d’alliance
Le lendemain, les révélations reprennent, cette fois-ci avec un prêtre en bonne et due forme qui me présente la robe d’évêque de Frumentus, l’évangélisateur syrien de l’Ethiopie, miraculeusement préservée depuis le IV° siècle. Mais le clou du spectacle, c’est un modeste chapiteau dans le jardin de l’église Notre-Dame de Sion. Il abriterait l’Arche d’alliance ramenée d’Israël aux alentours de 900 av JC par Menelik, le fils du roi Salomon et de la reine de Sabah.



Il est malheureusement impossible de le voir, sous peine d’être immédiatement frappé par la foudre. Seul un moine qui transmet son privilège de génération en génération serait autorisé à contempler la merveille. Il me faudra donc me fier à mon guide, qui se fie au fameux moine, qui lui-même se cache pour cause de préparation pascale. Je l’aurais bien cuisiné aussi, mais heureusement pour lui je n’ai pas le temps d’attendre : mon avion décolle pour les églises troglodytes de Lalibela, a priori la plus belle étape de mon séjour en Ethiopie.

Lalibela, le 30 avril

Une Eglise proche des origines
J’arrive en début d’après-midi dans ce village plutôt paisible malgré sa renommée. Ce soir, c’est Pâques. Je commence par faire un tour au marché aux bestiaux où les Ethiopiens achètent les chèvres qu’ils vont manger à l’issue de la veillée.



Car le Carême leur impose de s’abstenir de viande, de poisson, d’alcool et de relations sexuelles depuis 55 jours. Soit les 40 jours que Jésus a passé à jeûner dans le désert, auquel ils ont rajouté une semaine de préparation plus la semaine de la Passion. Les chrétiens d’ici sont des durs à cuire, les plus fervents jeûnent chaque mercredi et vendredi de l’année jusqu’à 15h, et le dimanche matin avant d’aller à la messe. Ils respectent également les interdits alimentaires juifs, si bien qu’on ne trouve pas de porc dans le pays puisque l’autre moitié de la population est musulmane. Un prêtre m’assure carrément que les fumeurs de cigarettes et les mâcheurs de khat sont maudits sur sept générations ! L’Eglise éthiopienne est en fait restée très proche des origines car elle a presque toujours vécu isolée du monde chrétien.

La Jérusalem noire
Maintenant que je vous ai situé un minimum le cadre, retour à Lalibela. Après le marché aux bestiaux, j’explore la « Jérusalem noire », ce célèbre ensemble de onze églises troglodytes voulues à la fin du XII° siècle par le roi Lalibela pour servir de substitut à Jérusalem occupée par les Sarrasins. Le spectacle est inouï. Par endroits, le rocher a été creusé à la verticale, d’immenses blocs ayant été dégagés avant d’être sculptés. Ailleurs, seule la façade de l’église a été découpée sur le rocher, comme un bas-relief. Ou bien encore, c’est juste l’intérieur de la pierre qui a été creusé. Les travaux, qui se seraient étalés entre 1166 et 1189, ont dû être titanesques. On commence par la plus hallucinante, celle de Saint-Georges, le patron de l'Ethiopie :













Celle de Saint-Georges, que je vous montrais tout à l'heure, dispose d’une petite curiosité suplémentaire avec cette niche adjacente où l’on expose les cadavres de pélerins morts il y a plusieurs siècles, aux jambes miraculeusement séchées par la chaleur.



En levant la tête, on trouve dans tous les coins des prêtres en train de lire la Bible ou de papoter. Ce sont des séculiers, à Lalibela ils sont 670 à habiter dans leur maison avec leur famille.









Il y en a même qui font les malins.



Et puis bien sûr on y trouve aussi pas mal de fidèles, qui trottinent toute la journée autour des églises.





Les onze églises sont reliées par un système de couloirs ponctués d’antichambres, le plus long faisant 73 mètres. Comme sur le lac Tanaa, chaque église a sa réplique de l’Arche d’alliance, cachée derrière un rideau dans le Saint des saints. Par contre, la décoration est nettement plus variée. Il y a des tabernacles, une variété hallucinante de croix plus sophistiquées les unes que les autres, des apôtres sculptés comme des gisants, des Christ en croix, des bas-reliefs chargés de symboles occultes, des peintures de martyrs dans tous les sens et, ici encore, des légions de Saint-Georges et de Saint-Michel embrochant des troupeaux de dragons.





Pâques à la mode du IV° siècle
En plus, ce soir c’est Pâques. Pour le coup, j’ai eu du nez. Au début, je m’affole un peu en apprenant que la veillée pascale dure sept heures, de vingt heures à trois heures du matin. En France, quand Noël arrive, j’esquive par tous les moyens. Et bien là, je vis l’un des trucs les plus hallucinants de ma vie. L’église Bet Madalanem est quasiment inaccessible, il faut marcher entre les corps de centaines de fidèles enroulés dans leur gabi blanc à même le sol, épuisés par un jeûne ultime et complet de 24h minimum, 72h pour les plus acharnés. Quelques uns sont debouts face au mur, embrassent la pierre ou suivent la liturgie avec leur Bible.





Au milieu de l’assistance, les prêtres dans leur livrée blanche, or ou rouge, la tête coiffée d’une sorte de tiare, chantent en ge’ez pendant des heures en balançant leur crosse et en agitant d’étranges hochets pendant que l’un d’eux lit un extrait d’Evangile à la lueur d’une bougie, avant de laisser la place à une nouvelle mélopée un peu plus forte, cette fois-ci rythmée par le gigantesque tam-tam d’un diacre. Cela réveille une partie de l’assistance, on entend des youyous monter du sol, quelques uns tentent de se relever en marchant sur leurs voisins. Puis l’agitation passe et tout le monde se replonge dans son état de dévotion ensommeillée. Et ça dure, ça dure… Au bout d’un moment, quelqu’un s’endort sur ma jambe et je reste longtemps sans bouger.












Vers 23h, je m’arrache à la foule et gagne Bete Gabriel, l’église Saint-Gabriel, où les fidèles, nettement plus réveillés, m’accueillent avec de grands sourires en m’expliquant que j’arrive pour les bougies, dont la flamme représente la présence du Christ. Effectivement, des bougies ne tardent pas à être distribuées.



Lorsque tout le monde a allumé la sienne, une mini procession s’organise en rond dans la pièce derrière l’icône de la Vierge Marie, protégée par une ombrelle et suivie par un nouveau diacre percussionniste en pleine bourre.







C’est ensuite le moment de la prière à Saint-Gabriel, tout le monde s’incline jusqu’à terre. Puis un prêtre asperge ses ouailles d’eau bénite. Quand je dis qu’il asperge, il n’envoie pas trois gouttes comme chez nous, c’est une douche que je prends dans la figure, l’eau me dégouline dans les yeux et dans le cou, à cette heure de la nuit ça fait très froid.

Je bas en retraite vers Bete Mariam. Il est minuit, la messe à proprement parler ne commence que maintenant. En tant que non orthodoxe, je ne suis pas admis dans l’enceinte, donc je reste dans la cour où les prêtres enchaînent les solos, tandis que les silhouettes blanches des fidèles s’assoupissent de plus en plus sur les murs d’enceinte.











Il est trois heures du matin, la veillée s’achève enfin. Chacun se relève et rentre chez lui partager le mouton ou la chèvre en famille. Trois familles ont la gentillesse de m’inviter chez elles et je finis la nuit au radar chez des inconnus, entre plats de viande, café et vin de miel.


Addis Abeba, le 1er mai

Le plein de musique
Je repasse quelques jours à Addis Abeba. J’y retrouve la maison, les chattes, les poules et le chien, ce dernier très occupé à suçoter la tête de sa copine la chèvre qui y est passée à la casserole pour Pâques. Je profite de mon séjour pour sortir un peu et rencontrer quelques nouvelles têtes, dont un Londonien francophone charmant qui est venu passer un an en Ethiopie, histoire de changer de son job de psy. Il est également DJ dans un sound system de reggae depuis dix ans, tout en connaissant très bien l’ensemble des musiques électroniques, ainsi que le jazz américain et éthiopien. Il me donne 50 gigas de musique et me retrouve à la tête d’une collection inespérée de Lee Scratch Perry, Ashtech, Boards of Canada, Miles Davis, Tortoise, Mixmaster Morris, Plaid, Arovane, Portable, Theo Parrish, Herbert, KLF, Kid Koala… Ouh la la je vous dis que ça !!! Là, c’est une photo de nous aux championnats d’Afrique organisés à Addis Abeba, où les coureurs éthiopiens ratiboisent la concurrence en fond et en demi-fond.



La preuve, avec Kenesise Bekele et son frère qui mettent la pâtée aux Kenyans :



Et ça, c'est Haile Gebresselassie, la grande star de l'athlétisme éthiopien, qui fait coucou déguisé en docteur honorus causa d'une université anglaise qui le sponsorise.



Harar, le 7 mai

Au pays de Rimbaud
Après un mois en Ethiopie, je décide d’une escapade hors du pays. Par deux fois, des voyageurs m’ont conseillé de faire un reportage sur le Somaliland, une région de la Somalie qui s’en tire plutôt bien depuis qu’elle a fait sécession en 1991 à l’issue d’une épouvantable guerre civile. Tandis que son encombrant voisin n’en finit plus de s’enfoncer dans le chaos, elle vit en paix, construit lentement sa démocratie, bat monnaie, a ouvert plusieurs universités et connaît un début de relance économique. Pourtant la communauté internationale refuse de reconnaître sa souveraineté et il n’y a jamais une ligne sur elle dans les médias occidentaux. En fait, j’ignorais jusqu’à son nom avant d’arriver dans la région. Bref, c’est un sujet quasiment vierge et l’occasion de voyager hors des sentiers battus. Pour parvenir au Somaliland, je passe par la légendaire ville d’Harar, à l’est de l’Ethiopie, interdite au chrétiens jusqu’au milieu du XIX° siècle. J’y passe une journée, le temps d’admirer son enceinte fortifiée, ses belles maisons blanches et ses mosquées, de visiter la supposée maison de Rimbaud et de jeter un coup d’œil au repas des hyènes, qui descendent tous les soirs de la montagne pour se faire nourrir par les locaux.

1 commentaire:

universciencetv a dit…

Ne pas rater le film Mission archéologique à Lalibela

http://www.universcience.tv/media/1493/mission-archeologique-a-lalibela.html

durée : 15 mn

À l'occasion de la Journée de l'archéologie le 5 juin.

Situées sur les hauts plateaux éthiopiens, dans la ville de Lalibela, les remarquables églises monolithes du XIIIe siècle sont creusées et taillées d'un seul bloc dans la roche. Une première carte topographique de cet ensemble architectural hors du commun vient d'être établie par des chercheurs de l'Inrap, en collaboration avec des archéologues éthiopiens.


Réalisation : Clémence Lutz
Production : Inrap 2009