19 – Une école dans un bidonville de Nairobi

Nairobi, le 1er août

Big bad Nairobi
J’ai entendu le pire à propos de « big bad Nairobi » - dixit le Lonely Planet -, qui se peuplerait de gangsters à la nuit tombée. Pour ma part, tout se passe bien. Probablement aussi parce que je reste dans le quartier des affaires. De grands immeubles de bureaux tout gris, des rues impeccablement bitumées. Les gens sont gentils, serviables, un poil sérieux aussi. Question service, par exemple, on est loin de la spontanéité et de l’amateurisme éthiopien. Tout le monde dans cette ville semble obsédé par le développement économique. Mais ce qui me fait le plus bizarre, c’est de constater à quel point l’influence anglo-saxonne éloigne les Kenyans de leurs racines. Ils mêlent sans cesse le swahili et l’anglais, y compris à la télévision. Tout le monde est habillé à l’occidentale, dans les écoles les enfants portent les mêmes horribles uniformes que dans les collèges britanniques. Et puis il y a la religion, omniprésente. Ce n’est même pas la leur, comme pour les Ethiopiens qui cultivent leur particularisme depuis dix-sept siècles. Non, c’est sous l’influence de la puissance colonisatrice qu’ils ont tourné le dos à leur animisme traditionnel. Aujourd’hui, en dehors de quelques musulmans convertis par les commerçants omanais (souvent des esclavagistes, soit dit en passant), les Kenyans sont d’enthousiastes catholiques, protestants, anglicans, pentecôtistes, méthodistes, adventistes… Un jour, je suis même pris en stop par le bus d’une église coréenne se proclamant « en croisade en Afrique ». Cette bondieuserie omniprésente m’épuise. Et vas-y que j’assiste à la messe plusieurs fois par semaine, que je te cite Jésus à tout bout de champ ou même, carrément, que je me mets en tête de convertir le touriste mécréant... Sur un « matatu », le bus local, je vois un jour l’autocollant « Conseil de la Bible : Repentez-vous ou périssez ». L’horreur.


Vue de Nairobi (photo prise sur Picasa)

Nairobi, le 2 août

Visite d’une école dans un bidonville
Par contre, les gens sont très accueillants. Je suis hébergé chez trois Kenyans rencontrés par l’intermédiaire de Couchsurfing, toujours le même site Internet dédié à l’hospitalité. Il y a là une fille qui travaille à la résolution de conflits intertribaux, une autre qui met en œuvre des programmes de prévention Hiv et un garçon qui est consultant en entreprise. Ils sont vraiment adorables, prêts à tout pour me renseigner, pour m’aider. Grâce à eux, je rencontre Patrick, le directeur de Mercy Care Center, une école installée dans un bidonville, que je suis invité à visiter. Mon appareil ayant effacé toutes les photos prises à cette occasion, celles qui figurent ici m’ont été fournies par Patrick.



Nourrir les enfants
La première chose qui me frappe, c’est l’odeur : il y a des montagnes d’ordures tout autour de l’école. Les locaux sont très modestes, avec certaines classes vraiment toutes petites où les enfants s’entassent à une trentaine dans à peine plus de trois mètres sur trois. Comme me l’explique Patrick, originaire lui-même du bidonville, qui a lancé le projet il y a quinze ans et qui le poursuit depuis lors sans aucune aide de l’Etat, « au départ ce n’était qu’un programme de distribution de nourriture pour six enfants issus de familles très déshéritées. Puis nous nous sommes dits que les nourrir ne suffisait pas. » Aujourd’hui encore, la plupart des 460 élèves âgés de 5 à 18 ans ne peuvent compter que sur l’école pour leurs repas. « Si on les nourrissait pas, ils passeraient leur temps à chercher de l’argent pour acheter à manger et ne viendraient pas en cours. Leurs parents essaient constamment de les faire rester à la maison pour qu’ils participent davantage aux travaux domestiques. Parfois même, ils sont forcés de se prostituer. Pour éviter cela, il nous arrive de donner de l’argent aux familles. Il y a aussi les orphelins, aux besoins desquels nous essayons de subvenir. C’est une lutte constante que de garder nos élèves avec nous. »



Sida, drogues et prévention
5% des élèves de Mercy Care Center sont séropositifs, qu’ils aient été contaminés à leur naissance par leurs parents - souvent décédés depuis -, ou par le biais de la prostitution. Ces enfants bénéficient d’un suivi médical et ont droit à un peu plus de nourriture à la cantine. Pour le reste, aucune différence. Depuis sept ans que les premiers cas ont été découverts, aucun séropositif n’a vu sa maladie se déclarer. Autre problème : la toxicomanie. « Beaucoup d’écoliers ont consommé ou consomment encore de la colle, du khat, de l’opium, de l’herbe ou des alcools clandestins, énumère Patrick. Mais à l’école, ils respectent l’interdit. Ceux qui ont de gros problèmes d’addiction fréquentent une classe spéciale avec un expert. Nous les soignons, ils deviennent des enfants comme les autres. ». Pour limiter les dégâts, Patrick a collé partout des affiches de prévention. Tout au long de la journée, je l’entends leur parler de Dieu, leur répéter qu’ils arriveront à tout s’ils travaillent dur, qu’être né dans un bidonville ne les empêchera pas de s’en sortir. « Nous leur donnons aussi des cours de morale pour qu’ils apprennent à vivre ensemble. Cela passe par des explications, nous ne croyons pas dans les punitions, cela les rendrait plus durs. La méthode fonctionne, il n’y a ni bagarre, ni vol dans l’école. »



Des élèves motivés
L’enseignement dispensé par les quatorze professeurs de Mercy Care Center donne des résultats encourageants. A l’issue de leurs études secondaires, les élèves peuvent suivre dans un autre établissement de Nairobi un cursus professionnel de deux ans afin de devenir maçon, informaticien, mécanicien, charpentier, couturière… Mais faute de financement, seule 20% d’une classe d’âge en profite. Depuis peu, un ancien élève de l’école étudie à l’université pour devenir ingénieur. « Il est le premier à parvenir à ce niveau de qualification, se félicite Patrick, et il revient souvent pour parler aux enfants ». Ceux-ci sont hyper motivés. Lorsque je les interroge, ils me disent vouloir devenir avocat, physicien ou politicien avec, sur leur visage, une gravité, une détermination que que je n’ai jamais vue dans nos écoles. On sent vraiment qu’ils n’ont pas le choix, c’est la réussite ou la misère.



Plein d’espoir
Lors de mon passage, c’est le dernier jour avant les vacances d’été. Les petits sont rassemblés pour la distribution des prix. La cérémonie s’enchaîne proprement, dans la joie mais sans chahut. Pendant ce temps, les plus âgés s’entraînent pour une compétition nationale de chorale. Leurs chansons, on ne peut plus citoyennes, portent sur la préservation de l’eau et de l’environnement, l’importance de payer des impôts, la paix, les droits de l’homme et, bien sûr, l’amour de Dieu. « Nous allons concourrir avec des écoles où les enfants ont tout. Cela accroîtra leur confiance en eux de se rendre compte qu’ils peuvent faire aussi bien qu’eux. » Après l’ultime répétition, les adolescents écoutent sagement l’interminable discours d’au revoir de leur directeur, qui semble très ému de les voir partir pour le mois d’août et qui n’en finit plus de leur répéter de rester bien abstinents pendant les vacances, que c’est le meilleur moyen de ne pas faire de grossesse indésirée et de ne pas attrapper le sida. Il est touchant, ce type balèze et un peu gauche qui s’inquiète de voir ses protégés s’abandonner à la débauche dès qu’il aura le dos tourné. Mais dans le fond, il a confiance, comme il me l’assure plus tard au moment où nous prenons congé. « Ici, on donne aux enfants de l’éduction, de la nourriture et bientôt un toit. Ils travaillent dur et leurs résultats scolaires progressent. Nous sommes pleins d’espoirs pour eux. »

www.mercycarecentre.com
http://newsfrommcc.blogspot.com

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