27 - Les petits restos de la Terre Sainte

Tel Aviv, le 2 décembre

Mâme arrive
Pour commencer, puisque vous ne la connaissez pas, il faut que je vous présente ma nouvelle partenaire de voyage. Il s’agit donc de Mâme, 87 ans, championne du monde des grands-mères toutes catégories, la plus gentille, la plus douce, la plus aimante, la plus curieuse et la plus enthousiaste des grand-mères. Toujours partante pour un match de Coupe du monde dans un bar de Belleville ou un apéro techno à Pigalle. Toujours à bloc de « sapristi, c’est épatant », « allons bon, qu’est-ce que tu bricoles ? » et « zut, nous voilà bien ». C’est elle qui va veiller sur moi pendant les quinze prochains jours, je ne pouvais pas rêver mieux. En plus, elle arrive avec un appareil photo de secours.



La plage de Tel Aviv
Pour commencer, nous faisons un excellent dîner végétarien à Tel Aviv chez mon ami Ohad rencontré en Ouganda, qui nous aide à établir notre itinéraire. Le lendemain, petit-déjeuner ensoleillé sur la plage, d’une beauté inattendue avec ses tours blanches surveillant l’horizon. Mâme, qui est plus habitée aux frimas malouins, n’en revient pas de la température estivale en cette fin novembre. Nous partons en balade dans Tel Aviv, dont pas une construction n’a moins de cent ans. Je ne crois pas m’être déjà senti aussi bien dans une ville nouvelle. Les allées sont dégagées, la grande majorité des immeubles est limitée à trois ou quatre étages et cette plage à perte de vue sur laquelle volent les kitesurfeurs lui donne un côté balnéaire très relaxant. Nous terminons en beauté cette première journée dans le port de l’antique Jaffa, tout au bout de la plage, qui abrite un excellent restaurant de poissons.



Dans la mêlée à Jérusalem
Il fait nettement plus frisquet à Jérusalem, perchée à une heure de là dans les nuages de montagne. La vieille ville, ceinturée par des remparts crénelés, est petite et très dense. C’est un réseau de ruelles piétonnières étroites encadrées de murs en pierres de taille, où habitants et touristes marchent au coude à coude au milieu des boutiques d’épices, des boucheries halal et des stands de Jésus fluo aux yeux clignotants. Le tout au son des cloches et des muezzins qui scandent les heures à longueur de journée. Nous visitons la ville tambour battant, Mâme mettant son réveil aux premières lueurs de l’aube malgré mes protestations quotidiennes.



Je m’attendais benoîtement à découvrir les lieux où Jésus vécut, mais depuis leur identification officielle par la mère du premier empereur chrétien il y a dix-sept siècles, ils ont été recouverts par des couches successives d’églises, de chapelles, de couvents et de monastères. Le pèlerin en quête de balises d’époque peut toujours se rabattre sur les stations de la Via Dolorosa, le chemin de croix décrété par les croisés, même s'il faut avoir à l'esprit qu’une bonne partie de ses bornes de passage sont inédites dans les Evangiles. Ici, le Christ aurait été flagellé, là il serait tombé devant telle pierre encore visible, là encore il se serait appuyé sur tel mur que des générations de pèlerins ont fini par creuser à force de poser pieusement leur main au même endroit.

Le Saint-Sépulcre
La Via Dolorosa aboutit sur le Saint-Sépulcre, la basilique abritant le mont Golgotha où le Christ a été crucifié et enterré. C’est ici que les manifestations de piété sont les plus impressionnantes. Toute la journée, les fidèles se prosternent à la queue leu leu sur la plaque de marbre placée à l’endroit où le corps de Jésus aurait été préparé pour le tombeau. Ils embrassent la pierre, y frottent leurs icônes, quand ce n’est pas leur sac à main, leurs clés de maison ou de voiture, que sais-je encore. Un peu en hauteur sur la droite, c’est le Calvaire, où il fût crucifié. Là, c’est carrément du délire. Pendant que des prêtres franciscains en robe de bure y célèbrent la vingt-troisième messe de la journée, une vieille Russe fond en pleurs sous son châle au côté d’une Ethiopienne en gabi blanc en adoration face contre terre et d’une Italienne dont la prosternation laisse entrevoir son string de dentelles noires. Mâme, par contre, reste très digne et se contente d’un petit bisou au pied de la croix, sans en rajouter. Il y a aussi le tombeau, où plutôt son emplacement officiel, branlante micro chapelle édifiée au XIXe siècle. Une foule de pèlerins philippins, américains, allemands et polonais y fait continuellement la queue en enchaînant les Ave Maria, sous la surveillance des farouches moines grecs en robe noire qui en ont la responsabilité.

Division
Car la basilique est strictement partagée entre sept confessions : les orthodoxes russes, grecs, arméniens, égyptiens, éthiopiens et syriens, auxquels s’ajoutent les catholiques romains. Les Grecs, qui sont en position de force et ont hérité du choeur, au milieu donc, ont carrément élevé un mur autour de leur territoire afin de ne pas être dérangés ! La cohabitation est si difficile qu’en 1192, peu après avoir repris Jérusalem aux croisés, Saladin préféra attribuer la garde des clés de la basilique à une famille musulmane qui les a encore aujourd’hui. Le mois dernier par exemple, les Grecs ont asticoté les Arméniens pendant une de leurs processions et la chamaillerie a dégénéré en partie de bourre-pif. Des caméras de télévision étaient présentes et le spectacle de ces moines boxeurs a fait rigoler tout Israël. Ce n’est pas très charitable, mais voici quand même quelques images.



Juifs et musulmans
Bien sûr, Jérusalem n’est pas que chrétienne. Le vendredi, en plus des processions de prêtres et de popes, c’est le début du Shabat. Après avoir terminé leurs courses au marché de Mea Shearim, des centaines d’ultra orthodoxes à papillotes traversent la ville en chapeau et redingote ou, plus chic, en toque de fourrure et déshabillé de satin, pour rejoindre le monumental Mur des Lamentations, en fait un mur de soubassement du fameux temple détruit par les Romains il y a 2000 ans. Ils y prient au rythme de leurs courbettes saccadées avant, pour les plus enjoués, de se prendre par les épaules et de former des farandoles chantantes.







Une bar-mitzvah.



Et pour finir, le Mur de nuit et en 16/9 (pour le voir en plus grand et plus joli, vous pouvez cliquer dessus).



N’oublions pas non plus les musulmans, qui représentent quand même 80% de la population de la vieille ville. Le vendredi matin, c’est un raz-de-marée qui afflue vers l’Esplanade des mosquées, le troisième lieu le plus saint de l’Islam, d’où Mahomet prit son élan pour s’envoler vers le paradis.





Après quatre jours de ce tourbillon de religions, nous sommes assez soulagés de voir débarquer Ohad qui vient nous prendre en voiture pour nous emmener à Massada, au bord de la Mer morte.



Massada ne tombera plus
Massada est un site très spectaculaire, un palais/forteresse construit par le roi Hérode sur un énorme rocher surplombant la mer et le désert. C’est ici que se réfugièrent les derniers insurgés juifs de la révolte contre les Romains de 70. Les assaillants élevèrent une immense rampe de remblai pour prendre la citadelle et, juste avant l’assaut final, la centaine d’assiégés préféra se suicider collectivement, femmes et enfants compris, afin d’échapper à l’asservissement. Retrouvé et exploré par des archéologues il y a une trentaine d’années, le site de Massada est devenue le symbole de la résistance juive à l’oppression, offrant un contrepoint idéal à la passivité des juifs devant la Shoah dénoncée par les pionniers sionistes. Les jeunes soldats israéliens viennent souvent prêter serment ici et tout le monde en Israël connaît le slogan « Massada ne tombera pas une nouvelle fois ».



Pétra, septième merveille du monde
Nous grimpons ensuite dans le bus pour Eilat, tout au sud d’Israël, d’où nous gagnons le site jordanien de Pétra, l’une des sept merveilles du monde. Tout le monde connaît cet extraordinaire tombeau creusé dans la roche en forme de façade de temple gréco-romain, qui apparaît à la fin du film Indiana Jones et la dernière croisade. Mais voir émerger ce gigantesque bas-relief d’une trentaine de mètres de hauteur entre les parois de grès du canyon où vous cheminez depuis une heure, ça remue.





D’autant que ça continue ensuite. Il y en a encore pour deux bonnes heures de marche au milieu d’autres monuments du même acabit creusés il y a 2000 ans par les Nabatéens, des bédouins sédentarisés qui contrôlaient le passage des caravanes d’encens et de myrrhe dans la région.





La visite est d’autant plus agréable qu’un excellent restaurant se trouve à l’extrémité de la gorge. Après avoir épuisé son buffet et sa carte des vins, Mâme et moi enfourchons deux ânes afin d’escalader les 800 marches d’une montagne où se trouve un dernier tombeau transformé en monastère byzantin, suivi d’un promontoire donnant sur un grandiose paysage de montagne allant jusqu’à Israël.



Allez Mâme !



Au bout du chemin, le triomphe...



Vive la Jordanie !



Visite gastronomique de la Galilée
Le lendemain, nous remontons à travers la Jordanie et la Cisjordanie pour retourner à Jérusalem, où nous décidons de ne rien nous refuser et de louer une voiture avec GPS. Ce sera bien plus pratique pour effectuer notre visite de la Galilée. Paisiblement guidés par la machine, nous naviguons entre la basilique de l’Annonciation de Nazareth...



...le Jourdain avec ses baigneurs catéchumènes en blouse blanche...



...et les églises catholiques et orthodoxes érigées le long du magnifique lac Tibériade, tout scintillant sous le soleil, là même où Jésus recruta ses apôtres, marcha sur l’eau, multiplia les poissons et enseigna le Notre Père.



Profitant de l'euphorie ambiante, j’encourage Mâme à la jouer coquillages et crustacés devant l’objectif.



Auto-stoppeurs
Sur le chemin, nous prenons toute une série d’auto-stoppeurs, du juif qui croit en Jésus au jeune émigrant russe désireux de repartir au pays, en passant par une adolescente très religieuse qui soutient les colons. Quel que soit leur bord politique, cela ne prend pas cinq minutes à nos passagers pour orienter la conversation vers le conflit avec les Palestiniens, une véritable obsession nationale. Je les écoute très poliment, veillant à ne jamais donner mon avis, et nous nous faisons plein d’amis. Nous rencontrons aussi régulièrement des Français venus s’installer en Israël. Mâme est ravie de trouver des francophones à qui parler, moi ça me fait un peu bizarre que ces compatriotes ne se sentent plus chez eux en France. Ils m’expliquent qu’ils sont partis en raison de la montée de l’antisémitisme. Je n’avais rien remarqué de tel, en même temps je ne suis pas juif. Ils me précisent aussi qu’il s’agit d’un antisémitisme musulman. Bon, ça ne m’enchante pas plus que ça, mais au moins ce n’est pas le retour de Vichy et on peut même trouver quelques explications rationnelles au phénomène. Mais lorsque je suis seul avec Mâme, nous ne faisons pas que parler politique. Chaque midi et soir, nous étudions les mérites comparés des poissons évangéliques et du vignoble local, et nous profitons même d’un spa pour offrir un délicieux massage suédois à nos jambes endolories.

Le village de Safed
Nous passons ensuite par Safed, curieux bourg de montagne ultra orthodoxe et en même temps très bohème, une bonne partie de sa population à papillotes étant composée d’artistes qui tiennent leur galerie dans les ruelles pavées du centre ville historique.





Césarée, Haïfa et Saint-Jean-d'Acre
Dans la foulée d'une escale à Tel Aviv pour la fête d’anniversaire d’Ohad, où Mâme fait très forte impression sur toute cette jeunesse, nous repartons terminer notre séjour par le nord du pays. D’abord, les vestiges de la ville antique de Césarée, avec son stade magnifiquement situé sur le front de mer et son petit bar à sushis sur le port. Puis Haïfa, sa drôle de copie de la tour emblématique de Dubaï (voir chapitre Dubaï)...



...ses jardins Bahaï dévalant une colline et ses excellentes gargotes arabes. Et enfin Saint-Jean d’Acre, toujours aussi belle depuis sa construction par les croisés, où je vous conseille le fameux restaurant de poissons Christo, où l’on déjeune quasiment les pieds dans l’eau.



Après ces dernières agapes, nous repartons à Tel Aviv, où je remets Mâme dans l’avion pour Paris, tout sourire sous ses pommettes rosies par le soleil.

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