25 - De l’hospitalité iranienne

Téhéran¸ le 10 octobre

Un accueil extraordinaire
Voilà pour la politique, c’était difficile de passer à côté, d'autant que les Iraniens n'ont que ça à la bouche lorsqu'ils tombent sur un étranger. Mais le souvenir le plus marquant que je conserverai de l'Iran, c'est l'incroyable hospitalité de ses habitants. C'est bien simple, je n'ai jamais rien vu de comparable. Les gens me saluent en souriant dans la rue, se proposent spontanément de me servir d'interprète dans les magasins, m’indiquent le chemin en m’accompagnant jusqu’à destination... A Téréran, un pharmacien me fait passer derrière le comptoir pour partager le thé et les gâteaux avec sa famille, un autre jour je suis reçu merveilleusement par une famille arménienne, dont Arno, le fils graphiste, passe des heures à faire les cartes qui illustrent mon blog. D'ailleurs, le voici.



Un jour, alors que j'explique à un inconnu qu'il me faut calculer au plus juste mes dépenses parce que les distributeurs ne délivrent pas d'argent aux étrangers, il me donne son numéro de téléphone en me proposant de m'en prêter si je me retrouve à cours à la fin de mon séjour. Non seulement les Iraniens sont gentils, mais en plus ils sont délicieusement bien élevés, toujours sur le qui-vive pour mettre à l’aise leur invité. Ils m'expliquent que leur culture les pousse même parfois à en faire un peu trop à cause du « tarov », une sorte de politesse forcée qui confine à l’hypocrisie. Par exemple, un chauffeur de taxi se retrouve à propose à un client de lui offrir la course, alors qu'au fond il n'en a aucune envie. Dans un autre genre, une femme est censée faire tout un tas de manières avant de passer une porte devant un homme, mais elle finit par s'exécuter en s’excusant mille fois de devoir montrer son dos, ce qui très impoli selon le tarov. L’homme galant lui répond alors respectueusement « poleshton golestoun », c'est-à-dire approximativement « je vous en prie, une fleur n’a ni envers ni endroit ». Je m’empresse d’apprendre la formule. Evidemment, dite par un étranger, elle provoque la stupéfaction et le ravissement de ces dames.

Kashan, son jardin, ses maisons
Au bout de quelques jours, je file visiter le centre du pays, où se trouvent les plus belles villes et sites archéologiques : Kashan, Ispahan, Shiraz, Persépolis et Yazd. A la gare routière de Téhéran, je me fais aider pour l'achat de mon billet par une jeune femme profondément religieuse mais parfaitement anglophone et très intéressée par l’Occident, ce qui bouleverse tous mes clichés. Elle me dit à quelle point elle est heureuse que j'ai le courage de visiter son pays « malgré notre horrible image de terroristes » (un point qui ennuie terriblement les Iraniens dans leur ensemble) et nous discutons pendant tout le voyage par dessus l'allée centrale - il est interdit à un homme et une femme non mariés de s'asseoir côte à côte dans un bus. Le soir, elle m'invite à dîner avec sa famille et, le lendemain matin, vient avec sa sœur me chercher à mon hôtel pour me faire visiter le bazar, le jardin et les plus belles maisons de sa ville, ce qui me donne un premier aperçu de l'architecture traditionnelle iranienne.





Les merveilles d'Ispahan
Mais je ne traîne pas à Kashan, impatient que je suis d’arriver à Ispahan, mythique étape de la route de la soie. Grâce à Couchsurfing, je suis hébergé chez un garçon adorable qui prend le temps de me faire découvrir sa ville en vélo.



En suivant le fleuve, il me montre l'antique pont Khadju, sous une arche duquel de vieux messieurs coiffés d'une calotte de poils pleurent en rimes leur enfance perdue, leur grand âge et la mort qui s’approche (le récitant est au milieu de l'image).



Ici, c'est le Si-o-Seh pol, littéralement le pont aux trente-trois arches.



Le lendemain, je découvre la place de l’Imam, réputée pour être l'un des joyaux de l’art islamique. Sur le flanc sud, on trouve l'extraordinaire mosquée de l’Imam, avec ses voûtes et ses galeries recouvertes de la fameuse faïence bleue d’Ispahan.







Et une petite dernière, de nuit.


A l'est, il y a la mosquée Loftfollah, autrefois réservée aux femmes, à la coupole décorée de somptueuses arabesques, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur. Je pénètre dans le bâtiment et, pour profiter plus confortablement du spectacle, m’allonge sur son tapis et me perds dans leur contemplation, essayant de saisir la logique de ces entrelacs interminables. Je ne suis pas certain de voir Dieu dans cette mosquée, par contre je ne doute pas que son architecte était pénétré de sa présence. Je m'y sens si bien qu’au bout d’une heure, je ferme les yeux et, tranquille, je m’endors.







Une jolie étudiante en architecture également rencontrée sur Couchsurfing s’occupe de moi avec beaucoup de gentillesse. Elle m'emmène voir la fabuleuse mosquée Jameh dont la construction s'est étalée entre XIe et le XVIIIe siècle, ainsi que des palais royaux et des églises arméniennes, avant de m’inviter à boire du thé et m'empiffrer de pâtisseries dans le jardin féerique d’un hôtel de luxe. Terrible.





Bon allez, je vous remets la mosquée une dernière fois, histoire de vous montrer ma guide.



Mais il n'y a pas que des mosquées à Ispahan. On y trouve aussi quelques palais décorés de sublimes peintures persanes.







Shiraz, ville des poètes
Au bout d'une semaine, je finis par quitter Ispahan pour Shiraz, ville également raffinée d’où sont originaires deux gloires nationales, les poètes Hafez et Saadi. A mon arrivée, alors que je cherche en vain un hôtel bon marché, je demande mon chemin à une fille absolument ravissante (encore une). Et là, incroyable : elle commence par s’excuser de ne pas pouvoir m’héberger, puis elle m’emmène à une première adresse qui s’avère trop chère, puis à une deuxième, une troisième… Elle ne s’impatiente pas, au contraire elle arrête un taxi dont elle règle la course à peine assise et nous allons voir encore une série d’hôtels dans un autre quartier. Pendant que je visite une chambre qui, cette fois, correspond à mon budget, elle règle en douce deux nuits d’avance ! J’essaie de la rembourser, mais il n’y a pas moyen. Alors le soir, je l’invite à dîner avec deux de ses amies (notez que je m’en sors bien). Elle me donne rendez-vous le lendemain matin pour me faire visiter les musées et jardins de la ville, en passant par la tombe d'Hafez.
A l'entrée du site, les poèmes du grand homme sont vendus par un vieux monsieur, deux oiseaux installés sur sa manche étant chargés d'en choisir un au hasard, à méditer pendant la visite. Une file ininterrompue d'admirateurs visiblement émus défile toute la journée, certains lâchant même une petite larme sur le marbre. Hafez fait ici l'objet d'une sorte de culte qui n'a rien à voir avec le respect distant que nous éprouvons envers nos auteurs. Là encore, mon accompagnatrice se débrouille pour payer taxis et droits d’entrée à chaque fois que je relâche mon attention. Et tout cela par pure gentillesse, sans le moindre soupçon de flirt. Pourtant, si elle avait eu une idée derrière la tête, je me serais probablement montré indulgent.



Des relations compliquées entre garçons et filles
Ce qui me donne l’occasion d’aborder la question des relations entre les garçons et les filles. Comme ils grandissent séparément et n’ont pas de lieux où se rencontrer en dehors de quelques rares soirées en appartement et du tchat sur Internet, leurs rapports sont tortueux. Les filles se plaignent de ce que, probablement du fait de la frustration, beaucoup de garçons sont agressifs envers elle. Comme je comprends à leurs récits qu’elles sont très distantes, cela ne doit pas arranger les choses. Pendant le dîner évoqué dans le paragraphe précédent, les trois étudiantes de Shiraz m’expliquent que, s’il leur arrive d’avoir des petits amis, elles ont le plus grand mal à les tenir à distance. En fait, avoir une relation amoureuse signifie pour elles marcher côte à côte et, éventuellement, se tenir la main. Quand les garçons cherchent à les embrasser, ce qui finit toujours par arriver, elles me disent qu'elles sont bien obligées de les quitter ! Elles ne représentent peut-être pas la norme, mais ce ne sont pas des cas isolées non plus, deux filles me tenant exactement le même discours quelques jours plus tard. Pour les épauler dans leur lutte contre la lubricité, elles peuvent compter sur l'aide du ministère de l'Education qui, selon un étudiant, mettrait parfois du bromure dans les repas servis à la cantine de la fac. Lorsque quelqu'un repère son goût, paraît-il caractéristique, le bruit court rapidement et tous les garçons jettent leur assiette en protestant !

Persépolis, capitale de la Perse antique
Persépolis étend ses vieilles pierres à quelques kilomètres de Shiraz. Cela faisait des années que je rêvais de visiter les restes de l'antique capitale de la Perse. Je ne suis pas déçu. Le site constitue un reflet encore bien tangible de la puissance de l’empire de Darius et Cyrus. On y accède par un double escalier monumental accolé à un bâtiment, avant de passer sous ce qui fût un formidable porche appuyé sur quatre immenses créatures mi-hommes mi-béliers. On découvre ensuite des bouts de colonnes, des pans de bâtiments, des têtes d’aigles géantes et les célèbres bas-reliefs figurant des rangées de soldats perses et mèdes.















On y trouve aussi les envoyés des royaumes soumis venus remettre leur tribut au roi des rois. Les personnages, parfaitement conservés, permettent de se faire une idée des costumes de l'époque des Hébreux, des Ethiopiens, des Babyloniens, des Scythes… C’est tout un monde vieux de 2500 ans qui est figé dans la pierre depuis l'incendie de la ville par Alexandre le grand en 330 av JC, dans lequel disparurent palais, temples et bibliothèques.







Et voici le faravahar, un vieil homme ailé portant un anneau, symbole de la religion zoroastrienne.



Un peu plus loin, creusées dans le flanc d'une montagne, se trouvent de spectaculaires sépultures royales ornées de bas reliefs illustrant des épisodes de l'histoire perse.





Yazd, foyer zoroastrien en terre d'islam
Après toutes ces splendeurs, je change d'ambiance en filant à Yazd, ville austère perdue en plein désert dont les maisons d'une ocre homogène sont surmontées de « tours du vent », des cheminées d’aération conçues pour attraper le moindre souffle d'air.








Je suis ici pour enquêter sur la communauté zoroastrienne, la plus importante d'Iran avec 4000 membres sur les 40 000 que compterait le pays. Le zoroastrisme, qui fut professé par Zarathoustra en Perse aux alentours de 1000 ou 1200 av JC (certaines estimations sont encore plus floues), est généralement considéré comme la première religion monothéiste et il a peut-être influencé le judaïsme, à la suite de la libération des juifs de Babylone par Cyrus au VIe siècle av JC. En plus du Dieu unique, on y trouve en effet les notions de combat entre le bien et le mal, de paradis et d'enfer, d'anges et d'archanges, et d'attente d'un Messie dont l'arrivée précédera de peu la fin du monde. Ses adeptes rendent un culte au feu, qui incarne Dieu, tout comme Moïse voyait la présence divine dans le buisson ardent. Voici deux « mages », les prêtres zoroastriens.





Les zoroastriens sont aussi connus pour leur répugnance à polluer la terre et l'air avec les corps de leur mort. Plutôt que de les enterrer ou de les brûler, ils les ont donc exposés pendant des millénaires sur leurs « tours du silence » afin que les vautours les mangent. Aujourd'hui, l'Etat iranien interdit cette pratique, mais les tours demeurent.



Ce qui m'intéresse ici, c'est de voir comment cette communauté, qui a survécu à près de quinze siècles d'islam, vit dans l'Etat religieux extrêmement tatillon qu'est devenu l'Iran depuis Khomeini. Il apparaît vite qu'elle a géré la situation en se repliant sur elle-même, ce qui d'ailleurs rend ma tâche difficile. Après quelques tentatives d'infiltration ratées, je parviens à récupérer le numéro de téléphone d'un zoroastrien d'une trentaine d'années qui accepte de me rencontrer.
Il m'apprend que lorsqu'il était enfant, il ne pouvait boire à l'école qu'à son propre robinet car il était considéré comme impur. Pour cette même raison, les zoroastriens étaient interdits jusqu'il y a peu d'occuper un emploi dans la restauration et, par ailleurs, ils n'avaient pas non plus le droit d'être professeur. Ces deux interdictions ont été levées, mais aujourd'hui encore il leur est impossible d’être juge, militaire professionnel ou d’atteindre un haut niveau dans l’administration.
A l'issue de deux heures de discussion, le jeune homme m'emmène à Mehrgan, la fête de l'amitié et de la lumière qui a justement lieu pendant que nous parlons. Je me retrouve dans une grande salle de cérémonies, entouré de 500 personnes très étonnées de voir débarquer un étranger, mais très accueillantes. Les jeunes femmes sont presque toutes dévoilées, tandis que leurs aînées arborent le fichu multicolore traditionnel de leur communauté. On m'invite à partager le repas, puis un groupe de garçons aux airs comploteurs m'entraîne dans un coin sombre pour me faire goûter à une sorte de vodka, boisson éminemment sulfureuse en Iran. Ensuite, tout le monde se met à danser.



Mais bon, faudrait voir à pas déraper non plus. Alors que je suis en train de discuter sur la piste avec une jeune femme, quelqu'un vient gentiment me rappeler que je suis censé rester dans la partie réservée aux hommes. On est quand même en Iran... Comme les gens continuent de venir me voir, je leur pose des questions sur leur religion et leur place dans le pays. La plupart sont assez remontés et me disent ne jamais sortir de leur communauté, seul endroit où ils se sentent à l'aise. Un groupe de jeunes me propose de m'emmener le lendemain à Chak Chak, un endroit perdu dans la montagne où des zoroastriens se sont réfugiés lors de l'invasion arabe, devenu aujourd'hui un lieu de pèlerinage qui réunit chaque année des fidèles du monde entier.



Quelques jours plus tard, je complète mon reportage au temple du feu de Téhéran, à l'occasion d'une cérémonie religieuse traditionnelle, où je rencontre le mage qui représente la communauté au Parlement iranien (c'est le deuxième en partant de la gauche).







L'article sera mis à la fin du blog dès qu'il sera terminé, a priori début 2009 après avoir rencontré quelques zoroastriens de Paris.



Les villages de Karhanak, Garmeh et Abyaneh
Après Yazd et avant de regagner Téhéran, je m'aventure un peu dans la campagne. Je commence par Karhanak, un ancien village zoroastrien perdu en plein désert, dont les maisons datant du XIIIe siècle tombent en ruines.







Je fais là-bas la connaissance d'un Tchèque qui voyage avec d'étranges lunettes psychédéliques qu'il associe à des écouteurs. Chaque verre est équipé de plusieurs diodes qui clignotent à toute vitesse face à la rétine, plongeant le sujet dans un prodigieux bain d'hallucinations rythmé par une pulsation linéaire d'infrabasses. Il utilise ces lunettes chaque soir pour s'endormir. Très excité, j'essaie aussi, mais ça me saccage mon sommeil et je me retrouve avec une épouvantable migraine pendant trois jours. Apparemment, j'aurais trop forcé sur le rythme des diodes. Mais quand même, c'est rigolo. Si vous voulez en savoir plus: photosonix.com.



Puis je file à l'oasis de Garmeh, où le musicien et potier Maziar Ale Davoud tient pension dans sa maison de famille ancestrale. L’oasis est mignonne, avec sa palmeraie et ses murs à moitié effondrés, même s'il n’y a pas grand chose à y faire.



A moins peut-être de goûter les combats de chèvre et de dromadaire.



Mais chaque jeudi, veille du repos hebdomadaire, la maison de Maziar se remplit d’artistes, d'intellectuels, d'étudiants et d'exilés de passage. Le soir, pendant qu'il joue de la musique, ça parle politique, musique, photo, voyages…



Je termine ces quelques jours à la campagne avec le village d'Abyaneh, très mignon avec ses maisons en pierres de taille encastrées les unes dans les autres à flanc de montagne. En plus, les paysannes y portent un foulard fleuri sur fond blanc, ça change.





Retour à Téhéran
Avant de quitter l'Iran, je passe quelques jours à Téhéran en compagnie de mon pote graphiste, de la fille du pharmacien rencontre trois semaines plus tôt qui me reçoit à dîner chez ses parents avant d'organiser toute une soirée avec quatre de ses copines rien que pour moi, et d'un étudiant en arts plastiques qui m'accompagne au Musée national. Il est ravi de voir que je m'intéresse au patrimoine iranien, persuadé qu'il est que « l'ouest et l'est ont autant à apprendre l'un de l'autre ».











C'est là, entre les bas-reliefs antiques, les poteries vieilles de 7000 ans et les minuscules vaches cruches dont les formes dilatées ont peut-être inspiré Picasso, qu'il part dans un grand discours sur l'identité de son pays. Lui aussi estime que l'Iran est zoroastrien avant d'être musulman et en veut amèrement aux Arabes. Il me raconte comment un calife du VIIe siècle a fait brûler tous les livres rédigés en persan afin qu’il ne reste plus que le Coran, et m'explique comment chaque artiste, chaque poète, doit depuis lors tenir un double langage afin de ne pas déplaire au clergé. Puis, en bon Iranien, il appuie son propos en me récitant quelques vers d'Omar Khayam sur la liberté de penser et les plaisirs de la vie.
Le lendemain, je quitte l'Iran pour la Syrie, via un rapide crochet par la Turquie pour éviter l'Irak.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

hello Antoine I read you blog of iran and your blog is very good, blog picturs very good and evrething is perfect.

Anonyme a dit…

i`m sorry i am Arno

Anonyme a dit…

yo superbe mon antoine, par contre les lunettes tchèques me semblent vachement étranges ... Tu aurais du faire une prise de sang à cette personne ...

Anonyme a dit…

je me regale en lisant ce blog! superbe!
je suis moi meme franco-iranienne et je sens que tu as capte l'ame de l'iran a travers ce voyage et ce recit

Phil le Globecroqueur a dit…

Merci Antoine,
J'ai eu l'impression de revivre mon voyage. Comme toi, l'hospitalité persane m'a réellement impressionné. J'ai publié mon carnet de route en Iran pour partager et rompre tous ces clichés et idées reçues...