7 - L'arrivée au Yémen

Sanaa (Yémen), le 24 février



Les mille et une nuits
En passant la porte fortifiée de Bab-al-Yemen qui donne sur la vieille ville de Sanaa, j’ai l’impression d’arriver dans un décor de cinéma. Autour de moi, ce ne sont que somptueuses maisons en pisé ocre aux fenêtres soulignées de dentelle blanche. Niché dans le dédale des ruelles, le soukh déroule ses étalages de narguilés, de joaillerie, d’épices et d’étoffes, on se croirait dans Les Mille et une Nuits.









Les hommes sont coiffés d’un kéfieh ou d’un foulard blanc brodé, portent un énorme poignard recourbé serti d’argent à la ceinture, et ont leur chemise bourrée de qat, sorte d’équivalent local de la feuille de coca. A 13h, toute activité s'arrête car ils s’assoient à l’ombre pour en mâcher les feuilles qui se transforment en une boule de pâte verte peu ragoûtante qui leur fait une joue de trompettiste ou de crapaud troppical, un truc totalement disproportionné en tout cas. Toute la population est accroc, on m’explique que même les femmes ruminent entre elles dans les maisons. C'est vraiment le soma local. Les femmes, justement, me font froid dans le dos avec cet assemblage de voiles noirs qui les couvre entièrement, laissant juste un mince filet pour les yeux. On dirait des ombres.







Histoire de vous donner une meilleure idée de l'ambiance dans la rue, voici quelques exemples de petits commercants de Sanaa : un grainetier...



...un vendeur de khat...



...et enfin ma préférée, cette souriante boulangère.



Malgré leur premier abord un peu intimidant, les gens sont accueillants. Dès qu'ils apprennent que je ne suis ni Américain ni Danois (les caricatures de Mahomet les ont traumatisés), ils me souhaitent tous la bienvenue avec chaleur. Et au restaurant, quand mon plat n'arrive pas assez vite, ils me proposent systématiquement de manger dans leur assiette... Là, par contre, c'est moi qui invite.



Mais au contraire des Indiens, la façon dont ils se parlent et se bousculent me donne l’impression que ce sont des gens assez rudes. La première nuit, je suis surpris quand tous les muezzins de la ville s’y mettent pour appeler à la prière, les uns hurlant, les autres chantant, un dernier discutant en ayant visiblement oublié que son micro était ouvert. Le contexte politique a également bien changé. A l’aéroport de Bombay, je m’étais fait confisquer mon briquet acheté à Goa qui projetait une image de jolie fille dénudée. Je retrouve le même au pied de mon hôtel, mais cette fois-ci c’est Saddam Hussein qui apparaît avec un pistolet à la main ! Son portrait est d’ailleurs collé un peu partout, des hôtels aux épiceries. J’avais envie de dépaysement, je suis servi. Je suis même un peu sonné.

Un pays tendu
Comme d’habitude, je n’ai pas planifié mon séjour. Mais sur Internet, on ne parle que d’enlèvements de touristes et de zones interdites. Il y a un mois, un convoi de Belges a été attaqué, il y a eu trois morts. Je commence à me demander si je ne vais pas devoir me joindre à un tour organisé, ce qui me fait frémir d’avance. A l'ambasade, le consul m'explique que les touristes ne sont pas enlevés dans l’espoir de toucher une rançon, ni même pour des raisons religieuses, mais pour faire pression contre le pouvoir central en échange de l’ouverture d’une école ou de l’installation de l’électricité dans tel ou tel village. Il n’empêche que, de plus en plus, les autorités réagissent en utilisant la force, ce qui aboutit à des bains de sang. Il m’assure aussi que les poignards que je vois à la ceinture des hommes, les djumbias, sont un ornement aussi inoffensif qu’une cravate, mais que le pays compte soixante millions d’armes à feu pour vingt millions d’habitants. En cas de désaccord, on sort facilement la kalachnikov.



Le consul m’apprend que les tensions sont également dues à l’état catastrophique de l’économie locale. Les dividentes de la rente pétrolière ont chuté de 30% entre 2006 et 2007, la corruption est généralisée, le chômage approche les 40% et la culture du qat remplace de plus en plus celle du blé, élément essentiel de l’alimentation locale, et du café, qui pourrait rapporter des devises. Mais le président, lui-même grand consommateur, ne peut prendre de mesure restrictive sans risquer une révolution. Bref, c’est un fléau national. Enfin quand même, une nouvelle drogue, ça excite ma curiosité.

5 commentaires:

Blandine a dit…

Bonjour Antoine,
Je tenais à te remercier pour ta vision du Yemen moins polémique que tout ce que l'on peut lire sur internet. Je pars 2 ans au Yemen à partir de Janvier, et jusqu'à la lecture de ton blog, j'etais un peu angoissée (enfin, je le suis toujours un peu après avoir lu que le guide yéménite jetait des pierres à la française qui t'accompagnait en randonnée...meme si c'etait pour rigoler)
J'aimerais te demander si les occidentales doivent etre voilées à Sanaa?
Merci!!
Blandine (27 ans, Paris)

djamila a dit…

bonjour antoine,
on part au yemen pour 4 ans et on veut savoir si il y a de beaux paysage et si il y a de belle maisons a louer et aussi les ecoles francaises pour mes enfants parceque je suis vraiment angoissée car mon mari est diplomate et on l'a oubligé a partir je sait pas si on part (mes enfants et moi) avec lui ou on le lesse partir tout seul ?
j'attend votre réponse avec impatience !!
merci d'avance

Anonyme a dit…

Bonjour à tous,
Mon père ayant vécu au Yémen de 2005 à 2008, j'y ai fait de nombreux séjours. Je suis très contente qu'un voyageur tel que toi fasse part de sa vision du Yémen. Et oui ce n'est pas qu'un pays d'islamistes ou de kidnappeurs! Bien que je sois une femme, les yéménites ont toujours été très respectueux même s'ils manifestent leur curiosité ou leur amusement à la vue d'une occidentale.
en espérant pouvoir lire bientôt de nouvelles anecdotes sur tes prochains voyage.

mamiaorana a dit…

Bonjour Antoine,
Pour répondre à Blandine, oui les femmes peuvent se promener non voilées à Sanaa. Juste pour visiter la Grande Mosquée du Président.
Pour ceux qui hésitent, gommez vos peurs, et si vous le pouvez, achetez un billet d’avion pour Sanaa et partez à la découverte de merveilles dont le souvenir est vif et émerveillé à nos mémoires.

Cher Antoine, vos tribulations ressemblent aux nôtres et il est bien agréable de découvrir quelqu'un qui possède le goût du vaste monde. Un ami, passionné et créateur de voyages, nous a transmis depuis quelques années déjà, le goût du voyage "autrement"
C'est un vrai bonheur que de parcourir à travers vos photos et vos textes des lieux que j'ai quittés il y a seulement un mois et demi. Je vous ai lu et revécu avec vous toutes nos aventures.

Nous n'avons pas été kidnappés, comme mon entourage me l’a répété bon nombre de fois avant mon départ. Bien au contraire, puisque nous avons, entre autre, été invités à pénétrer dans un sanctuaire. Le cheikh de la région de Tawila siégeait avec ses conseillers dans sa ville lorsque nous sommes arrivés. Il a accepté sans ambages de nous recevoir, non seulement les hommes, mais nous aussi, les femmes à visages découverts. Bien sûr il a fallu que nous acceptions les branches de khat qui nous furent offertes et mâcher comme eux cette herbe hallucinogène.
Le cheikh a posé des questions, beaucoup de questions et notre guide Hahmed a répondu avec déférence. Ce fut un moment fascinant, voire légèrement inquiétant. Il faut dire qu'ils avaient tous leurs kalachnikov à leurs pieds, à côté de leurs crachoirs. Il nous donna également son autorisation pour les photos. C'était à ne pas y croire. Mais combien les média nous entraînent dans des réflexions et des angoisses, des peurs inutiles.
Je ne voudrais pas envahir cette page "commentaires" mais si vous en avez le temps, l'envie, je vous invite à me rejoindre sur mon blog
http:///partirensembleailleurs.blogspot.com
Je n'ai pas terminé de publier et photos et textes. Mais comme le disent les malagasy "mora-mora", doucement, doucement.
Et pour l'heur, je vais de ce pas, curieuse et admirative, vers d'autres destinations, vous suivre dans vos tribulations. Par exemple... La Vallée de l'Omo
A bientôt. Mamiaorana

Phil le Globecroqueur a dit…

Superbes photos !
Ah le Yémen... quel pays incroyable. Je crois savoir que tu as croisé une amie commune, Marine...