2 - De Khadjuraho au Rajasthan

Khadjuraho, le 5 août

Les temples du Kamasutra
Au bout d’une semaine dans cette ville de fous furieux, je suis ravi de me remettre d’aplomb dans le village de Khadjuraho, célèbre pour ses temples aux façades couvertes de statues érotiques figurant les positions du Kamasutra. Dans un pays à la libido aussi bridée que l’Inde, il est assez plaisant de tomber sur ces fougueux bas-reliefs représentant très explicitement des fellations, des partouzes et même quelques galipettes zoophiles. Autant de figures gravées à l’intention de l’éducation des jeunes brahmanes du X° siècle, qui s’amusaient visiblement plus à l’époque qu’aujourd’hui.







Agra, le 8 août

Des palais d'Orchha au Taj Mahal
En quittant Khadjurao, je passe par Orchha, une ancienne capitale musulmane pourvue d’une demi-douzaine de palais sublimes devenue aujourd’hui un village paisible. J'y reste deux jours.




Je gagne ensuite Agra, ou je découvre le fameux Taj Mahal, sorte d’équivalent indien de la Tour Eiffel en plus romantique. Il s’agit d’un mausolée dédié à sa femme défunte par un sultan, une merveille d’équilibre tout en marbre blanc finement sculpté, à la coupole encadrée par quatre gracieux minarets, le tout placé devant une longue pièce d’eau afin d’en refléter l’image. Son architecte a même pensé à surélever l’édifice sur un terre-plain afin que sa silhouette se détache sur le ciel plutôt que sur la campagne. Mais Agra n’a pas grand intérêt par ailleurs et les rabatteurs des hôtels et des restaurants de la ville y sont véritablement enragés. Après avoir admiré le Taj Mahal, je repars aussi sec pour le Rajasthan et les palais de ses maharadjahs.




Jaipur, le 10 août

Palais et embouteillages
La porte du Rajasthan, tous les guides vous le diront, c’est Jaipur. Je vais donc à Jaipur. Je visite le palais étourdissant de luxe, la collection de cimeterres en argent, le harem à la mode arabe, le magasin de tentures et jusqu’au restaurant panoramique qui tourne sur lui même au sommet d’une tour.



Mais je suis vite agacé par les types avenants qui se relaient pour essayer de m’embobiner avec leurs histoires de trafic de pierres précieuses. Et plus vite encore, je ne supporte plus les bousculades sur les trottoirs et les embouteillages dans les rues polluées. Dès la fin de la visite règlementaire, je mets les voiles. Ou plutôt, je lutte toute une après-midi au milieu de la bouillie humaine qui s’écrase sur les guichets de la gare autoroutière, avant de dégoter enfin un billet pour Pushkar, petit village sacré à la réputation paisible.







Pushkar, le 17 août

Lac sacré
On ne m’avait pas menti, l’endroit vaut le détour. C’est un mignon village traditionnel bâti autour d'un petit lac bordé de ghâts aux somptueux bâtiments blancs ciselés, le tout surplombé par des montagnes. On y trouve le seul temple d'Inde consacré à Brahma, le dieu créateur. Du coup, l’endroit est peuplé de brahmanes, qui sont voués à son culte particulier. Ces personnages situés au sommet de la hiérarchie indienne ne me sont pas très sympathiques. La mine hautaine, ils passent leurs journées à arpenter les ghâts pour vendre des pujas, sortes de prières, avant de laisser les pèlerins faire leurs ablutions. Lorsqu’ils pénètrent dans l’eau, ces derniers en frappent la surface avec leurs mains pour faire fuir les poissons. Comme le lac est sacré et que la pêche y est interdite, il grouille de monstrueuses carpes mutantes mesurant parfois plus d'un mètre de long, équipés pour certaines d’une longue nageoire chevelue, qui donnent de l'urticaire et envoient des décharges électriques aux malheureux baigneurs qui les touchent...







Mais bon, les photos de paysage, ca va un moment. Sur les bords du lac, on croise aussi de gros taureaux indolents et de jolies gitanes, qui ressemblent pas mal à celles de chez nous, mais en un peu plus bijoutées...





Curée nocturne
Comme partout en Inde, on trouve à Pushkar des vaches qui traînent l’air hagard en mâchouillant une touffe d’herbes ou un bout de papier journal, l’air de se demander à quoi elles pourraient bien penser. Mais ici, elles sont accompagnées de singes qui guettent les assiettes des touristes pour leur piquer leurs crêpes, de gentils ânes qui se reposent à l’ombre, de cochons sauvages qui fouinent dans la boue, de plein de chiens qui copulent et se battent en alternance, et de quelques chats qui ne la ramènent pas, vu le nombre de chiens. Un soir, ce bestiaire m’offre un spectacle surprenant. Vers minuit dans le village endormi, je vois deux hommes empoigner la grande poubelle de la place principale… et vider par terre tout son contenu ! En quelques secondes déboule alors de l’obscurité la masse grouillante de toute la ménagerie du village qui se précipite vers les détritus en donnant, qui un coup de cornes, qui un coup de dents, pour mieux assurer sa place à cette curée nocturne.

Bonnes rencontres
A Pushkar, je tombe aussi sur toute une population gentiment excentrique. D’abord, il y a la Suissesse chez qui je prends pension, une hippie convertie à l’hindouisme qui habite ici depuis vingt-cinq ans, mais sans jamais être jamais parvenue à se faire accepter par les brahmanes locaux qui la méprisent ouvertement. Son témoignage m’intéresse d’autant plus qu’elle est la première personne à me donner un point de vue d’Occidental sur l’envers du décor. Grande amatrice d’opium, elle donne aussi volontiers quelques bons tuyaux à ses clients. Je rencontre chez elle un Français très sympathique qui s’est fait rebaptiser par son gourou du nom d’Hanuman, le dieu indien bodybuildé à tête de singe. Il y a également cet Anglais très maigre qui étudie les percussions traditionnelles depuis six ans dans un village à côté d'Agra. C’est un personnage cultivé et charmant, mais qui part en vrille dès que l’on parle religion. Adepte d’Ari Krishna, il est persuadé que son dieu favori, Krishna donc, est assis sur un serpent flottant à la surface de l’eau et, qu’à chacune de ses respirations, il recrache des milliers de postillons qui contiennent chacun un univers comparable au nôtre. Et ce n’est pas une image, mais la stricte réalité. Pour rester en bon terme avec lui, je me force à garder mon sérieux. Enfin, je suis des cours de nagara, des percussions traditionnelles du Rajasthan. J'avais toujours eu envie de taper sur un tambour et, bien que je ne sois absolument pas doué, je rigole bien à jouer chaque soir avec mon petit groupe d’élèves devant le lac, sous l'oeil compatissant d’une statuette de Krishna.




Mais le personnage le plus curieux que je rencontre à Pushkar est un soufi, équivalent musulman du sadhu, avec qui je passe une après-midi à parler religion. Il vit de Dieu et de ganja, m’explique-t-il en mettant gaillardement tout mon shit dans quatre chiloms successifs, là où j’aurais eu largement de quoi faire une douzaine de joints. Ensuite, évidemment, je suis totalement anéanti et j’ai le plus grand mal à comprendre ses explications sur l’omniprésence de Dieu, le lac sacré qui se trouve devant nous, les infidélités conjugales de Rama et la raison pour laquelle Shiva aurait coupé la tête de son fils Ganesh avant de la remplacer par celle d’un éléphant. Alors, au bout d’un moment, je stoppe son flux de paroles en lui mettant dans les oreilles les écouteurs de mon walkman avec Consumed, le sublime album ultra sombre et minimal de Plastikman. Il est stupéfait de découvrir un truc pareil, mais il adore et du coup j’ai une bonne heure devant moi pour retrouver mes esprits. Nous dînons ensuite ensemble avant de finir la soirée par une partie de cartes. Sur la photo, il découvre Kraftwerk.



Enfin, il y a ce sadhu cul-de-jatte un peu excentrique, avec qui je ne parle pas mais qui m'a l'air sympathique.



Jaiselmer, le 20 août

Le début des ennuis
Au bout d’une semaine, je pars pour Jaiselmer, une majestueuse ville fortifiée aux murs ocres en plein désert à l’extrême ouest du Rajasthan. Malheureusement, là encore les rabatteurs des hôtels, les commerçants et les chauffeurs de taxi prennent tellement les touristes pour des cons que je finis par me lasser et reprendre la route.



Mais avant de grimper dans mon bus direction l’Himalaya, j'ai le temps de louer une moto et de sillonner le désert pendant deux jours, une bonne idée qui me reviendra plus tard. C'est à cette occasion que j'assiste à un spectacle de danse, où les musiciens entrechoquent deux bouts de bois, à la facon des Espagnols avec leurs castagnettes. Ci-dessous, les danseuses qu'ils accompagnaient.



Enfin, Jaiselmer c’est aussi la ville où je ressens les premiers effets de la diarrhée qui m’accompagnera fidèlement jusqu’à la fin de mon voyage, m’affaiblissant de jour en jour et me dégoûtant progressivement de la nourriture indienne, que j’avais pourtant trouvée excellente jusque là.





Bikaner, le 21 août

Rats sacrés
Après une nuit de voyage, pendant laquelle je traverse Jodpur...



...je m’arrête dans la ville de Bikaner et prends un petit bus de banlieue pour visiter un temple dédié aux rats. Il y en a partout. Ils devisent dans les coins, grimpent sur les tridents de Siva, font la sieste à côté des bols de lait ou trottinent entre les pieds des visiteurs. Le tout baignant dans une ambiance de dévotion surréaliste que l’odeur pestilentielle ne parvient pas à troubler.






En sortant du temple, un nouveau mystère de l’Inde m’attend : une véritable vache à cinq pattes. C’est vrai, je le jure, il y en a cinq. La patte supplémentaire, toute rachitique, sort de son omoplate gauche et fait le tour de son encolure, le sabot pendouillant mollement dans le vide. Le phénomène est agrémenté d’un élégant ruban rouge et exposé dans une carriole à la décoration tapageuse tractée par une autre vache. Je suis tellement scié que j'en oublie de la photographier.
Un peu plus loin, je tombe sur une assemblée joyeusement colorée. Je ne sais pas ce que tous ces dames font ici, probablement une occasion religieuse, mais voici la photo prise à cette occasion.

1 commentaire:

euphemia a dit…

Mais je le connais!!! Le saddhu baba du pont d'Orchha!!! J'ai même dansé avec lui et nous avons mangé ensemble des chapatis!!! Merci de me rappeler ainsi son visage... lumineux.