24 - Sous la pression des mollahs

Téhéran, le 15 septembre

Arrivée tendue
Je me suis préparé du mieux que j’ai pu à mon arrivée en Iran. Pour obtenir mon visa, je ne me suis pas déclaré journaliste, mais rédacteur. J’ai renvoyé ma carte de presse en France et jeté tous les papiers administratifs des journaux qui m’emploient. Bon, si les douaniers fouillent mon disque dur, ils trouveront vite des articles. S’ils tapent mon nom dans Google, ça ne fera pas un pli non plus. Mais s’ils se contentent de me poser la question vite fait, je leur raconterai que je fais des guides de tourisme, mon baratin est prêt. Par contre, en cas d’interrogatoire un peu plus tatillon, pas question de jouer au plus malin, je me donne dix minutes avant de cracher le morceau. En traversant l’aéroport, j’essaie de prendre l’air dégagé tout en me répétant mon argumentaire. Histoire de montrer ma bonne volonté, je faillotte en me présentant de moi-même à la dame à l’air sévère qui détaille les nouveaux arrivants. Elle sourit et me fait comprendre que son travail consiste à vérifier la position des foulards. J'arrive à la douane, les cerbères de l’axe du mal regardent leur montre en bâillant. Je passe le portique, pas de réaction. Je sors de l’aéroport, me retrouve devant les taxis, ça y est je suis en Iran.



Téhéran, une ville moderne
La première chose qui me frappe, c’est le développement du pays. La route est parfaite, impeccablement bitumée et, en ce début de soirée, très bien éclairée. Téhéran, avec ses grandes avenues bordées d’immeubles gris, ressemble à n’importe quelle grande ville occidentale. C’en est même un peu décevant. Un peu plus tard, je constaterai que les maisons sont équipées à peu près comme chez nous, avec cuisine moderne, télévision, électricité tous les jours, eau chaude, parfois internet etc. En fait, le seul truc vraiment étrange, c’est la conduite démente des automobilistes. Pas question de laisser passer le voisin, apparemment c’est une question d’honneur. Comme je voudrais bien faire lever le pied à mon chauffeur, je lui fais remarquer qu’il roule très vite. Il se retourne et me remercie pour le compliment... Je pose mes bagages dans l’antique hôtel Naderi, dont l’aménagement n'a pas du bouger depuis les années cinquante. Je grimpe les escaliers, découvre avec ravissement une immense chambre équipée d’un téléphone en bakélite hors d’âge, puis je me couche enfin, complètement surexcité.



Shiraz, le 25 septembre

L'ordre moral ou comment le contourner
Je m’en doutais un peu, mais je réalise vite que les Iraniens sont mis sous pression par les mollahs. La situation pendant le ramadan donne une bonne illustration de la schizophrénie ambiante. L'interdit est strictement respecté, il est impossible de trouver un restaurant ouvert et, dans la rue, personne ne mange ou ne boit. Mais on m’explique vite que la majorité de la population attend juste d'être à la maison pour casser la croûte tranquillement. Un jour, alors que j’erre désespérément affamé avec un sandwich que je n'ose pas sortir de mon sac, un commerçant m’invite à l'avaler dans son arrière-boutique et m’avoue en souriant qu’il vient lui-même de s’envoyer un paquet de biscuits. Il y a aussi la question du port du foulard, apparemment un enjeu important tant les femmes semblent affirmer leurs convictions par la façon dont elles interprètent l’obligation (celle-ci fait l'andouille, c'est un très mauvais exemple).



L'Iranienne urbaine et branchée installe son fichu multicolore très en arrière, en périlleux équilibre sur le chignon afin de découvrir le plus possible sa chevelure. Et, histoire de compenser l’impact du bout de tissu honni, elle l'assortit d’énormes lunettes de soleil Gucci ou Chanel qu'elle fait reposer sur un nez parfois fraîchement retaillé et encore agrémenté du pansement consécutif a l’opération, le reste du visage étant recouvert d’une impressionnante couche de fond de teint. Bon, d’accord, j’exagère un peu, mais à peine. La lycéenne ou l’étudiante est généralement plus discrète, avec son capuchon noir basique.



Quant à la femme plus traditionnelle, elle décline toute une panoplie pudibonde qui va de la cape noire informe, le fameux tchador qu’elle retient péniblement avec les mains ou les dents, à la capeline noire à doublure blanche dans le genre de nos religieuses, en passant par des foulards de couleurs serrant le menton de certaines fermières. Ce n'est que très exceptionnellement que l’on croise ces femmes intégralement voilées que je voyais partout au Yémen et sur la côte est-africaine. Et les hommes ? Tranquilles, ils collent à la mode le plus près possible à la façon un peu tapageuse de leurs voisins du Moyen-Orient méditerranéen : mocassins de cuir allongés, jeans serrés à gros ceinturon avec parfois une touche de strass et chemises rayées brillantes s'ouvrant sur des pendentifs argentés perdus dans la toison.

Une nation divisée
Un soir, je suis invité à un dîner avec des chrétiens et des zoroastriens - des fidèles de la religion de la Perse préislamique. Pendant la soirée, j’entends des propos très durs sur l’islam, des choses que l’on n’oserait jamais dire en France. Lorsque j’avance prudemment qu’il est peut-être appliqué ici dans une version rigoriste susceptible d’évoluer comme l’a fait le christianisme chez nous, un zoroastrien me répond que c’est une religion fondamentalement négative et agressive qui prône la tristesse et la renonciation, avant d’ajouter que les Arabes incultes qui ont envahi le pays au VIIe siècle en ont anéanti la culture. J’entendrai souvent cette dernière réflexion au cours de mon séjour, y compris curieusement de la part de musulmans. Certains de mes interlocuteurs me diront même considérer la révolution islamique de Khomeini comme une deuxième invasion arabe. Ferdosi, le plus grand poète iranien (et dans ce pays on ne rigole pas avec la poésie), n'a-t-il pas bâti sa renommée sur sa monumentale histoire de la Perse, rédigée à une époque où sa mémoire était menacée par l'influence arabe ? Un jour, un homme particulièrement exaspéré par le régime des mollahs en vient carrément à souhaiter devant moi que les Américains ou les Israéliens mettent à exécution leurs menaces de bombardement, dans l’espoir que du chaos émerge la démocratie. Beaucoup de jeunes n'en peuvent plus, ils estiment que la situation est bloquée pour plusieurs décennies et ne pensent qu’à fuir le pays. L'un d'eux me dit ne pas croire en Dieu mais ne pouvoir l'affirmer publiquement, l'apostasie étant punie de mort en Iran ! Pour autant, certaines jeunes femmes m'assurent porter le voile de leur plein gré et un homme me raconte être heureux de vivre dans un pays régi par la charia et débarrassé du fléau de l'alcool. Mais même ces défenseurs de la révolution disent vouloir davantage de liberté et d'ouverture sur l'étranger et ils affirment généralement soutenir Khatami, l’ancien président qui a tenté d’assouplir le régime avant d’être évincé par les Gardiens de la Révolution, emmenés par le Guide suprême, Khamenei, ici avec son prédécesseur l'imam Khomeini.



Toutefois, certaines provinces sont plus religieuses que d’autre, si bien qu’il est difficile d’estimer précisément le soutien au pouvoir en place. Mais en tout cas, tous mes interlocuteurs s’accordent sur un point : pour que la situation évolue, il faudrait une nouvelle révolution probablement assortie d’une guerre civile. Et ce risque là, aucun d’entre eux ne se dit prêt à le courir.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Good job, I translated the text with google language bar. I like the photos too.
P.S. Fuck Mollas

FabGreg a dit…

Tout à fait en ligne de mes voyages sur place en 2007 et en 2010.

Différences de 2010 :
- moins de questions sur l'image de l'Iran. En 2007, c'était systématiquement la 3ème question.
- la majorité des jeunes demandent comment étudier, travailler, émigrer en Occident. L'espoir semble anéanti.

Pendant le Ramadan 2010, pas la moindre consommation en public, l'eau des fontaines est chaude à force de ne pas être tirer, mais les commerces de bouche travaillent sans discontinuer, même pour le pain frais.

J'ai moi aussi constaté qu'une part conséquente des iraniens se déclarent ouvertement arabophobes, et souvent laïcs.

Nota : certains mollahs sont suffisament libéraux pour célébrer officiellement un mariage alors que parmi les femmes, seules les grands-mères couvrent leurs cheveux. Et les décolletés des jeunes femmes étaient souvent peu discrets ;-)

Mais les campagnes ne présentent pas d'expériences comparables à celles que l'on rencontre à Téhéran Nord.